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Comme nous venons de le voir, les mêmes villes, foires, fêtes, accueillent la MÉNAGERIE FRANCO-SUISSE des JEANNET et le chapiteau des GRUSS-RICONO.
Il faut savoir qu'en ce temps-là il n'y a pas d'animaux sauvages dans les cirques français, seules les ménageries foraines en exhibent et c'est pourquoi, sur les places publiques, circassiens et dompteurs sont souvent voisins. Historiquement, on peut dire que c'est entre les deux guerres mondiales que les cirques français commencèrent d'annexer une ménagerie à leur établissement, à commencer par le ZOO-CIRCUS d'Alfred COURT.
Les itinéraires des GRUSS - circassiens - et des JEANNET - dompteurs - se croisent donc fréquemment et c'est, sans doute, l'origine de la profonde amitié qui lia ces deux familles depuis les arrière grands-parents... et peut-être même avant, qui sait ?!
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Revenons au petit Lucien JEANNET.
Il adore aller en vacances chez son oncle Auguste et sa cousine Olga, à la MÉNAGERIE FRANCO-SUISSE.
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Il se plonge avec enivrement dans cette atmosphère si fascinante des ménageries foraines d'antan peuplées de fauves grognant, feulant, rugissant, mêlés aux animaux exotiques, aux reptiles, aux singes, aux aras multicolores et rassemblés sous une longue tente débordante d'effluves étranges, de bruissements mystérieux, de pénombres des jungles lointaines.
Il aime les écuries attenantes avec leur charme aristocratique et la magnifique façade devant laquelle les musiciens et le bonimenteur (ou bonisseur) se donnent avec éclat pour attirer les foules.
Du haut de ses 5 ans, il rêve de partir un jour avec eux.
C'est là qu'il attrapa le virus du spectacle, du cirque, des gens du voyage.
Il l’avait hérité de ses ancêtres, certes, mais au lieu d’être effacé par le travail familial et sédentaire à Bavans, il bouillonna dans son coeur d’enfant pour devenir son seul et unique but : être artiste !
aDurant ses années d’adolescence, il travaille déjà très fort auprès de son père et avec ses frères. Il arrête l’école à 12 ans. Toutefois avec l’aide de sa maman Rosalie, qui est fort instruite, il continue d'apprendre à lire, à écrire et à compter parfaitement - il aime çà - puis plus grand, à gérer et à faire fructifier son argent pour le rêve final qu’il s’est fixé et qui est encore caché dans son coeur.
Parallèlement, il apprend à connaître et à dresser des animaux. Il ne choisit pas les “féroces” à l’instar de sa cousine Olga ou de son père, il préfère les “domestiques” : chiens, oiseaux, poneys. Il faut dire qu’il est adolescent et qu'il prend les animaux qu'il a "sous la main" au village.
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J'ai toujours gardé en mémoire ce qu'il me racontait de ces années-là : à la maison ils avaient, bien sûr, de nombreux chevaux, charrettes, tilburys et en hiver - rigoureux, longs, avec des routes non déneigées - ils devaient changer les roues et les remplacer par de grands patins en métal capables de glisser sur la neige et le verglas. Les charrettes devenaient traîneaux. Ils accrochaient alors de nombreux grelots aux licols des chevaux, fixaient d'élégantes lanternes en cuivre sur les flancs en bois et pouvaient ainsi se déplacer et travailler par tous les temps. Quelle belle image que de voir glisser les fils JEANNET dans les paysages enneigés du Pays de Montbéliard, au son des grelots et avec la chaude lumière des lanternes se reflétant sur le cuivre lustré, la croupe des chevaux et la neige.
Le père Fritz JEANNET avait aussi, parmi ses chiens, un cas étonnant : Fritz pouvait rentrer de voyage n'importe quel jour, à n'importe quelle heure, sans prévenir, dès qu'il était à 5-6 kilomètres de la maison, d'où qu'il vienne, un petit bâtard le sentait - personne n'a jamais su comment - et il allait attendre son maître au bord de la route. Il ne le faisait jamais autrement. Maman Rosalie disait alors à ses enfants : "Ah, voilà le papa qui rentre". Et cela dura jusqu'à la mort du chien.
Mon grand-père me racontait aussi que, lors du négoce des métaux qu'ils faisaient, ils avaient parfois des charrettes entières remplies de lustres en bronze massif. Ces lustres - récupérés et vendus au kilo ! - devaient être mis en vrac dans de grandes caisses en bois stockées à la Gare de Voujeaucourt (nous reparlerons plus loin de cette modeste gare car elle renferme un beau souvenir). Or tout ce métal devait rentrer par tous les moyens dans lesdites caisses et, avec ses frères, ils s'évertuaient à tordre, plier, casser à coups de masse incultes ces merveilleux lustres qui seraient sans aucun doute considérés aujourd'hui comme de véritables oeuvres d'art. Quarante ans après, il regrettait encore de ne pas en avoir gardé pour lui !!
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Dès qu’il entre dans l’âge adulte, Lucien JEANNET a déjà monté son propre numéro. En fait, il a mis au point deux numéros : celui de chiens savants, sous le nom de JHANNY et celui de chanteur de music-hall, de Caf’Conc (Café-Concert), sous le nom de NY-KLEY.
Comme cela, il peut se produire dans le même établissement avec deux salaires !
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En 1923, alors qu’il est un artiste de 21 ans déjà fort connu pour ses dressages et son tour de chant, du côté des enfants de Maria et Charles GRUSS : Alexis a 13 ans et commence de bien travailler à cheval et André vient d’avoir 4 ans et commence déjà à faire rire !
Les plus jeunes admirent souvent les plus grands et c’est ce qui arrive, le jeune Alexis est enthousiaste devant son ami "Ny-Kley", à cause de son bagou, son éducation, ses dressages étonnants. Mais "Ny-Kley" admire aussi le jeune Alexis parce que c’est un authentique artiste, plein de qualités, prometteur pour l’avenir. Malgré la différence d’âge, ils s’apprécient et s’entendent parfaitement. Ils sont déjà amis.
Lucien JEANNET a du succès. Il sait organiser et présenter des spectacles, chanter, bonimenter avec beaucoup de verve. Il a appris à faire le “boniment” dans les règles de l'Art forain, à la parade de la MÉNAGERIE FRANCO-SUISSE mais il y apporte un style plus noble grâce à son instruction. Souvent il fait ses présentations en vers. C’est un artiste élégant, distingué et respecté.
aToutes les filles lui courent après mais il a jeté son dévolu sur “la plus jolie du village” avec la ferme intention de la conquérir : Eliane DABIN, la jeune sage-femme que toute la région aime et connaît et qui met au monde tous les bébés des villages alentour (les mamans accouchant la plupart du temps chez elle, à la maison, et non en maternité comme aujourd’hui).
Elle est gentille, évidemment très instruite, de bonne éducation, et quand il fait sa première approche - lui, un saltimbanque, un chanteur de Caf’Conc - Eliane ne peut pas résister, elle tombe immédiatement amoureuse. Quant à ses parents, c'est une autre histoire... lorsqu'elle annonce qui est son chevalier servant... quel scandale !!
Passons sur les sept années de péripéties rocambolesques entre les deux familles et Lucien l’artiste "louche" fils du montreur d’ours avec Eliane la blanche sage-femme de bonne famille du Pays de Montbéliard.
Heureusement ils s’aiment. Elle n’écoute pas ses parents et ils se fiancent pour se marier effectivement sept longues années après, en 1931, et ne plus jamais se quitter. Mon grand-père avait 29 ans et ma grand-mère 26 ans.
Finalement, n’étant ni un buveur ni un ignare, mon grand-père fut accepté dans la famille DABIN et devint un gendre sans souci !
A leur mariage, mon grand-père offrit en cadeau à sa chère épouse une grande maison entièrement équipée - jusqu’à la salière-poivrière remplie ! -, ornée de meubles anciens et comprenant le premier chauffage central du village et une somptueuse salle de bains rose, noire et or, avec douche, baignoire et bidet. Un luxe total à cette époque.
Et avec cette maison, il la combla d’amour et de cadeaux.
Un an après, le 8 juillet 1932, ils eurent leur premier enfant, une fille, Arlette JEANNET. Ma maman !
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Parallèlement à sa carrière artistique, Lucien JEANNET travaille sans arrêt. Il continue de faire du négoce d’antiquités, de ferraille, de chevaux. Il est en permanence occupé et passionné.
J'ouvre ici une parenthèse : est-ce la surcharge de travail qui lui fit perdre son avant-bras et sa main gauche ?
En tout cas, durant plusieurs mois, il eut des crises rhumatismales croissantes jusqu'au paroxysme où la douleur devint si insoutenable pendant quelques jours qu'il crut sa mort arrivée. Allongé dans son lit, lui qui pourtant était fort et endurant, il lui arrivait d'hurler de souffrance.
La médecine ne pouvait pas faire grand chose. On attendait... Et puis, sans savoir pourquoi, les cruelles douleurs se calmèrent, mon grand-père se releva mais son avant-bras et sa main gauche demeurèrent inertes, paralysés à jamais. Il les avait perdus pour la vie. Il l'accepta et se battit pour vaincre ce handicap et faire comme s'il n'avait rien, tout du moins visuellement.
Peu de personnes ont eu connaissance de sa paralysie car il la cachait bien.
aRevenons maintenant en 1930, un an avant son mariage.
Dresseur de chiens hors pair, c'est en cette année qu'il décide d'augmenter son capital et de commencer l'élevage des chiens les plus recherchés de ces années là - les plus chers aussi - : les Danois ou Dogues Allemands.
C'est une race de haute lignée et il commence avec un mâle et deux femelles. Dix ans après, il en a élevé et vendu plus de 600 !
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Sa réputation est nationale. Toute l’aristocratie et la bourgeoisie française achètent les Danois de Lucien JEANNET, notamment les Harlequins. Ses chiens remportent beaucoup de Prix et sa renommée d’éleveur n’en devient que plus grande.
Malheureusement, en 1940, la guerre est là et il est obligé d'arrêter son élevage, faute de nourriture de qualité pour les chiens.
Il ne part pas se battre à cause de son bras gauche paralysé et de son index droit dont il manque une phalange perdue lors de son service militaire.
Par contre, grâce à ses prestations artistiques, il se dévoue entièrement pour "remonter" le moral des combattants et récolter des fonds pour les prisonniers de guerre.
Comme toujours, il n'arrête pas.
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Son élevage de chiens Danois lui a permis de mettre de côté une petite fortune afin d’atteindre le rêve final qui est toujours caché dans son coeur...
Et tandis que ma grand-mère continue son travail de sage-femme afin de pourvoir aux besoins quotidiens du foyer, ma maman commençe à découvrir le monde du cirque lors des visites qu'ils font au CIRQUE NATIONAL d’Amédée RINGENBACH.
Les familles GRUSS, RICONO, STURLA, y sont réunies sans oublier les jeunes enfants Philippe et Arlette GRUSS qui devinrent plus tard ses meilleurs amis.
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Copyright textes et photos - Dépôt BFZT195 - Joël Rehde
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