Comme
Printemps 1946.
Dans la fébrilité du nouveau départ, chacun travaille avec diligence : aux répétitions des nouveaux numéros familiaux, à la réfection de la toile du chapiteau et des gradins bien usagés, à la révision des vieux camions gazo qui doivent encore tenir le coup quelques années, au bureau avec la réalisation du Programme et des affiches, les engagements des artistes et des musiciens, la préparation de l'itinéraire qui pour le moment est encore en gestation, les myriades de détails qui doivent favoriser la tournée.
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Dans les familles, il y a également du nouveau.
Chez les GRUSS, Lucienne et Alexis attendent un heureux événement : c'est Armand GRUSS qui arrive au monde à Montbéliard, aux Neufs-Moulins, à la grande joie de ses frères et soeurs Arlette, Philippe, Rodolphe, Ninine et Christiane.
Chez les JEANNET, Arlette (14 ans) ne part pas en tournée avec ses parents et son petit frère. Elle reste à Bavans car Lucien et Eliane veulent qu'elle termine l'année scolaire pour passer le Certificat d'Etudes, ce qu'elle fera avec succès.
Inattendu. Odette et Robert JEANNET abandonnent le monde du cirque. Ils choisissent une vie plus calme, sans avatars. Lucien doit donc rembourser, personnellement, l'argent prêté par Robert en 1942 (voir Chapitre 05). Scrupuleux dans les affaires, il lui redonne le montant initial, plus les intérêts tel un placement bancaire, plus ce qu'on pourrait appeler une indemnité de départ. Robert quitte donc le cirque avec un montant quatre fois supérieur à son investissement. Une bonne affaire en quelque sorte.
Pour la petite histoire, Robert et Odette se sont orientés ensuite vers les métiers forains. Ils ont acquis une grande loterie-oisellerie itinérante qui a été l'une des plus belles de la profession jusqu'à leur retraite dans les années 1980. Ils ne travaillaient que dans les foires ou fêtes les plus importantes (Lyon, Nancy, Strasbourg...). J'étais jeune lorsque nous les visitions et je revois encore les centaines d'oiseaux exotiques de toutes couleurs qu'ils exhibaient dans des cages au milieu d'un décor ornementé de petits carrés de verre et de miroirs. A chaque visite, mon oncle Robert m'en offrait et j'admirais sa facilité déconcertante à attraper les oiseaux en plein vol. Je collectionnais ainsi les Perruches, Becs de Corails, Bengalis, Cordons Bleus et autres oiseaux merveilleux à mes yeux d'enfant. Avec cela, il me donnait aussi des tickets pour aller gratuitement sur les manèges des forains amis. J'étais vraiment gâté.
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Remplacer un homme de confiance à la Caisse du cirque n'est pas évident. Il est impératif de trouver quelqu'un de compétent, d'honnête et qui se rallie aux gens du voyage. Mais qui ?
Le bouche-à-oreille aidant, Lucien JEANNET entend parler d'un jeune homme de Bavans qui vient de terminer ses études de comptabilité : Pierre HOULMANN.
Il le contacte, ils ont un entretien, Lucien lui propose la place, il accepte et deviendra le chef-comptable du CIRQUE GRUSS-JEANNET pendant onze ans.
Un changement pratique s'effectue à la venue de Pierre HOULMANN : la caravane "polygonale" d'Alexis GRUSS devenant trop exiguë pour une famille nombreuse, on décide de la transformer en nouvelle Caisse du cirque (où logera Pierre) puis d'aménager l'ancienne verdine-caisse (de Robert JEANNET) en nouvelle habitation pour Alexis et les siens.
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Parallèlement, à Montbéliard, aux Neufs-Moulins, les répétitions du futur spectacle continuent.
Alexis, sans cesse à l'affut de nouvelles idées, souhaite créer un nouveau numéro en l'air, à deux personnes. Arlette GRUSS, son aînée, excelle au trapèze et il décide de lui adjoindre, comme partenaire, Robert CHASSARD.
D'accord ou pas, ils doivent obéir et commencent à répéter ensemble pour, au fil des jours, arriver à une conclusion évidente : Nin-Nin n'est pas fait pour travailler en l'air.
De plus, il a le tempérament caractériel et imprévisible et ne peut pas supporter les conseils - à vrai dire souvent caustiques - d'Arlette.
Elle en parle à son père qui persiste dans sa décision jusqu'au jour fatidique où... Nin-Nin lâche volontairement Arlette du haut du trapèze... la pauvre s'écrasant au sol avec pour résultat l'éclatement d'un sein.
Et Nin-Nin de raconter à Lucien JEANNET : "Tu comprends Ny-Kley, elle n'arrêtait pas de m'emmerder là-haut alors je l'ai lâché" !!
Les répétitions du duo cessèrent immédiatement et la vie du cirque put continuer dans tous ses rebondissements !
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En ce qui concerne l'itinéraire 1946, notre trio a une idée qui se dessine de plus en plus.
Lucien JEANNET a en mémoire le souvenir de la MENAGERIE FRANCO-SUISSE de son oncle, qui descendait jusqu'à Lyon et qui bourrait à chaque étape.
Alexis GRUSS, lui, se remémore la période où ils étaient descendus en famille jusqu'à Toulon (voir Chapitre 02) et son frère André a également envie de découvrir la France du soleil.
Alors d'un commun accord, ils décident d'agrandir leur tournée et de visiter les villes de la longue et belle vallée du Rhône.
C'est Bibi RIXFORD - l'avant-courrier - qui se charge de préparer l'arrivée du CIRQUE GRUSS-JEANNET en ces régions vierges de leur enseigne.
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Ils démarrent fin mars. Chaque jour ils font deux représentations : une matinée et une soirée en semaine, deux matinées le dimanche. A chaque fois ils refusent du monde et leur notoriété ne cesse d'augmenter partout où ils travaillent.
Le milieu circassien - qui les attendait au tournant - est également respectueux de leur ascension.
Le temps libre est rare chez les GRUSS-JEANNET mais les jours de relâche, ils ont établi une chaleureuse habitude : autour d'une longue table accueillant la quarantaine de personnes de la troupe, ils mangent ensemble pour resserrer les liens entre tous.
Bien évidemment, à chaque fois Lucien JEANNET est sollicité pour chanter comme il le faisait au temps de sa jeunesse (voir Chapitre 03) et tous de se réjouir encore plus.
Entre les plats et les chansons, une profusion d'anecdotes et de souvenirs de voyages complètent ces heures de joie.
Comment voulez-vous qu'une équipe ne soit pas dévouée à ses patrons lorsqu'ils sont comme cela ?...
Et c'était ça les GRUSS-JEANNET.
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Leur retour à Montbéliard est suivi d'une vraie déception : l'accommodante remise des Neufs-Moulins n'est plus à louer.
Une nouvelle fois, on doit rechercher et s'adapter à un autre endroit.
Lucien ne sait plus où aller. Il parcourt la région un peu plus loin, du côté de l'Isle-sur-le-Doubs, et il trouve !
Cette quatrième remise provisoire GRUSS-JEANNET se situe, en fait, sur plusieurs zones : les convois resteront sur la Place Centrale avec l'accord de la Mairie, les familles GRUSS pourront loger dans des appartements, les répétitions avec les animaux pourront se faire dans un manège à l'entrée de la ville et les répétitions en l'air se feront dans la salle des fêtes mieux adaptée pour le trapèze et la corde.
Bref, c'est peu pratique mais il n'y a pas d'autre alternative et il faut bien accepter en remerciant l'Isle-sur-le-Doubs de vouloir accueillir un cirque au complet durant presque cinq mois.
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Ce "déménagement" n'enlève rien aux résultats exceptionnels de la saison. A leur échelle, les GRUSS-JEANNET ont vraiment gagné de l'argent et le compte en banque du cirque est désormais bien garni.
L'ambition - chimérique jusqu'ici - d'acheter un chapiteau neuf, plus grand, plus digne de la qualité de leurs spectacles, ne semble donc pas si déplacée quand Lucien, Alexis et André en soulèvent la question.
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Copyright textes et photos - Dépôt BFZT195 - Joël Rehde
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merci pour cette belle histoire du Cirque, et la suite?
Niidane
Rédigé par : Nadine P | 11 décembre 2010 à 20:25
Bonjour Monsieur,
J'ai lu toute l'histoire Gruss Jeannet avec beaucoup d'intérêt.
Merci pour ce site et tout votre travail
Je n'ai pas trouvé le chapitre 10, ai je mal cherché, est-il en cours?
Encore bravo,sincèrement,
Très cordialement,
Bruno.
Rédigé par : BRUNO HAYE | 23 septembre 2010 à 14:38