Comme
Leur public les attend et la guerre qui fait des ravages ne les arrêtera pas !
En véritables enfants de la balle dont le culot n'a d'égal que
l'enthousiasme et la force de caractère, les GRUSS-JEANNET décident quand même de partir pour
la saison.
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18 Février 1944. Christiane GRUSS arrive au monde à Bavans, au moulin. Cest Eliane JEANNET qui accouche Lucienne GRUSS, par amitié. Papa Alexis est ravi. Elle est la cinquième des neuf enfants d'Alexis et Lucienne.
Dans ce même mois de février, les parents de Maud GRUSS - Jacques et Isabelle LAUTOUR - rejoignent l'équipe dans leur propre verdine et André les installe à la remise de Bart.
Ils sont là car une autre heureuse naissance va bientôt arriver !
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La tournée précédente a été financièrement acceptable malgré les vicissitudes et, cette fois-ci, Lucien JEANNET invite son épouse à l'accompagner. Elle accepte avec joie, renonce à son métier et se prépare tout de go à découvrir l'univers du cirque et des gens du voyage.
André GRUSS leur retape "comme neuve" une vieille verdine trépassée et le petit camping rond de 1943 - utilisé par Lucien et Arlette JEANNET - passe aux enfants d'Alexis.
Sage-femme, Eliane est la plus instruite de la troupe. Elle ne le met jamais en avant et pourtant elle impressionne nos amis. A quel sujet ? : elle ne dit pas de grossièretés (1) et pour eux c'est une première ! A l'inverse, elle-même est impressionnée par leur langage couramment "épicé". Il y a même des mots ou des expressions qu'elle ne comprend pas... Quant à expliquer leur signification, difficile pour Lucien... Du vrai burlesque !!
Elle est de suite adoptée par sa nouvelle famille du cirque. Tous l'appellent "Madame Jeannet" y compris Alexis. André et Maud - plus proches - l'appelleront "Eliane" après bien des années de saisons communes. Très respectée par les GRUSS, tous lui diront toujours "vous". Ma grand-mère les aimait beaucoup et m'en a parlé jusqu'à sa fin de vie.
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Pareillement à l'année précédente, ils décident de commencer la tournée en Lorraine.
Et si "une Eliane" part, "une Maud" reste !!
En effet, par prudence Maud GRUSS reste à Bart, à la remise, avec ses parents. Elle doit accoucher dans les semaines qui viennent et, avec André, ils ont jugé plus sage de lui éviter les tribulations dues à la route et à la guerre.
23 Avril 1944. Dans la verdine des parents LAUTOUR, Maud met au monde son premier né, un garçon : Alexis Jacques André GRUSS. Il reçoit le prénom d'Alexis (comme son oncle), de Jacques (comme son grand-père) et d'André (comme son papa). Il deviendra l'exceptionnel artiste si estimé aujourd'hui.
Peu de jours après, André vient chercher les siens et ils rejoignent le cirque en Alsace.
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Nous l'avons vu au Chapitre 3, depuis sa terrible crise rhumatismale de l'été 1936, Lucien a l'avant-bras et la main gauches paralysés. Il ne peut plus faire d'efforts physiques importants - comme porter de lourds objets - et cela le plonge dans le désarroi. Souvent, il dit à son épouse : "Dédé et Alexis font le montage, le démontage, et moi j'ai l'impression de ne rien faire parce que je ne peux pas les aider".
Il aurait tout donner pour eux à cause de cela et pour compenser, il les mettait toujours en avant dans le spectacle, en les valorisant et en parlant très peu de lui en tant qu'artiste.
Pour Alexis et André son handicap n'est pas un problème, ils le savent et le comprennent sans sourciller. Le lien de l'amitié est si fort entre-eux que rien ne peut les séparer ; et puis ils ont une confiance absolue en Lucien dans les domaines où eux-mêmes sont ignorants. Chacun son rôle selon ses capacités !
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Et s'il a l'impression de ne rien faire, à l'évidence Lucien JEANNET ne fait pas "rien". Il s'occupe de la gestion, du financement, des médias, du ravitaillement en nourriture, en essence... sans parler de son rôle de "Monsieur Loyal" durant le spectacle et de son numéro de chiens.
Invariablement, c'est lui qui va dans les bureaux des Kommandanturs pour quémander des tickets d'alimentation supplémentaires, des autorisations diverses, des permis de rouler, des bons d'essence... Et quand il revient bredouille, il doit quand même trouver des solutions.
Combien de fois n'a-t'il pas eu peur de se retrouver emprisonné à cause de combines utilisées pour parvenir à ses fins.
Un jour, par exemple, le cirque se trouve bloqué par manque de carburant. Lucien part "à l'attaque" de la Kommandantur pour demander des bons d'essence supplémentaires. Vainement.
Que faire ? Il discute avec les clients d'un bistro et apprend qu'un soldat allemand trafique au marché noir. On le met en contact avec lui et ils mettent au point leur affaire : ils iront de nuit dans un hangar non gardé où se trouvent des barils de carburant - plus la voiture d'un officier nazi - et ils voleront ce qui est nécessaire.
La nuit venue, après l'heure du couvre-feu, ils rejoignent furtivement l'entrepôt et s'y glissent par une porte de côté. Tout est noir, angoissant. Le soldat tranche la nuit avec le faisceau de sa torche et montre à Lucien ce qui l'intéresse. Ce dernier sort une liasse de billets et paye cash l'allemand. Eclairés par la torche, ils commencent alors leurs manipulations. Soudain un bruit de clefs... la porte du hangar glisse sur ses rails jusqu'à ce qu'elle soit grande ouverte... Toutes les lumières s'allument dans un contraste aveuglant... Dissimulés près des barils, Lucien et l'allemand sont pétrifiés... C'est l'officier nazi, on le reconnait à sa voix. Il rit et parle avec une fille qui l'attend à l'extérieur. Il ne s'aperçoit de rien, sort sa voiture puis revient éteindre les lumières et refermer la porte... Le véhicule s'éloigne... Nuit et silence retombent à nouveau... Nos deux compères reprennent leur souffle... Le lendemain matin, le CIRQUE GRUSS-JEANNET est en route !
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Tel est le quotidien de nos artistes sur leur route parsemée d'anecdotes.
Il arrive parfois qu'ils n'aient plus rien à manger. Maud et Lucienne vont alors chiner et frapper aux portes des nombreuses fermes environnantes. Contre des invitations pour le spectacle, elles reviennent avec des victuailles : quelques oeufs, un peu de lait, une miche de pain, des pommes de terre, du fromage...
Quand les rentrées d'argent sont suffisantes pour le permettre, Lucien
est aussi un fin négociateur au marché noir d'où il ramène de la
viande en petite quantité, des fruits, du beurre...
Ils partagent tout. Ils sont une grande famille.
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Tel une ruche, chez les GRUSS-JEANNET tout le monde a sa tâche et personne n'arrête jamais. L'effervescence est de tous les instants.
Idem pour l'occupant nazi : il n'arrête jamais tout en se repliant vers l'Allemagne. De plus en plus de tanks, de blindés divers, de camions militaires, de soldats sont sur les routes et en action. Il y en a partout.
Les représentations continuent... Senones... Raon l'Etape... Moyenmoutier, une ville si petite qu'ils s'attendent à une salle vide - ni locations, ni réservations - et pourtant le soir, en peu de temps, les spectateurs arrivent à pieds de partout et nos amis affichent complet !
C'est à Moyenmoutier qu'un habitant propose à Lucien JEANNET cinq petites chiennes, des Caniches, sans doute croisées avec un bâtard car deux ne sont pas frisées. Le prix est intéressant, Lucien les achète. Elles travailleront en piste en 1947, présentées par Arlette JEANNET.
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En mai, ils sont encore dans la même région près de Baccarat, Saint-Dié-des-Vosges et Gérardmer.
A Baccarat, Alexis achète un beau service à apéritif en cristal et l'offre à "Madame JEANNET", en remerciement d'avoir mis au monde sa petite Christiane.
Le 27 Mai 1944 plus exactement, ils sont à Fraize.
C'est une bonne ville pour y travailler, ils y sont connus et attendus. Par contre, la date choisie est involontairement mauvaise : c'est dans la journée que va commencer la terrible bataille aérienne de la vallée de la Meurthe, juste au-dessus de leurs têtes. Terrifiant et extraordinaire à la fois.
La Place est entourée d'une petite élévation verdoyante. Nos circassiens ne savent où se cacher. Ils ont alors l'idée de faire une chaîne humaine avec toute la troupe pour se passer leurs biens les plus nécessaires et se sauver dans les champs au-delà de l'élévation.
La chaîne démarre depuis le cirque, grimpe sur la petite hauteur et se termine dans un champ voisin. Familles, artistes, tous participent et se passent les sacs, les valises, les baluchons... L'un des artistes, Carlo Fedrizzi, est au milieu de la montée. C'est lui qui attrape énergiquement les paquets jetés du bas avant de les renvoyer plus loin.
Hop !... Hop !... Hop !... Soudain, le petit paquet de draps qu'il attrape se met à bouger tout seul... Il sursaute, regarde et voit... une toute petite Christiane GRUSS emballée dans ses langes et qui le dévisage... Elle faisait partie du lot !! Son énergique lancer se transforma en douceur pour la passer au suivant et avant de recommencer la chaîne.
Une fois dans les champs, après plusieurs heures d'attente, ils sont désemparés car la bataille en l'air n'a de cesse. Le cirque - leur seule richesse - n'a pas été touché. Ils prennent alors la décision de démonter - sous le feu - et de quitter la région aussi vite que possible.
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Deux jours après, ils arrivent à Bart sains et saufs, à la remise-distillerie. Ils ont traversé les armées ennemies qui reculent lentement et ont eu si peur qu'ils décident de stopper la tournée.
Les artistes engagés repartent en toute compréhension mais, aléa du métier, avec l'inquiétude de ne pas retrouver un nouvel engagement pour finir l'année. Ce sera dur aussi pour eux.
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Malgré la guerre, ces mois d'été s'écoulent paisiblement. Le moulin de Bavans est agréable pour y vivre, au bord du Doubs, entouré de grasses prairies. André va à la pêche et devient un amateur chevronné ! Alexis a aménagé le grenier à foin pour y faire répéter les enfants, il leur apprend de nouveaux exercices.
Eliane reprend son métier de sage-femme à la grande joie des habitants. Lucien s'occupe à nouveau de l'aide aux prisonniers de guerre...
Les GRUSS-JEANNET se retrouvent souvent ensemble autour d'une table, au moulin. Ce sont des moments de bonheur que les enfants apprécient particulièrement car les grands se racontent des histoires du passé et développent leurs projets d'avenir. Souvenirs et rêves s'entremêlent.
Un jour Maud raconte à Lucien que, lorsqu'elle était plus jeune, dans sa famille foraine, elle allait cueillir des "simples" dans la nature pour les vendre sous forme de tisanes, de remèdes divers. Et elle riait car sa mise de fonds - égale à zéro - offrait une rentabilité 100% net d'impôts !! Le sourire aux lèvres, Lucien lui demande alors : "Mais toi, tu n'as jamais vendu de la poussière de route ?!!"... Et il lui explique que sa soeur Léa chinait cela pour avoir de l'argent de poche : elle ramassait, le long des routes, de la poussière qu'elle passait dans un fin tamis. Elle remplissait ensuite de petits cornets en papier journal avec cette poussière si fine que, d'un seul coup, elle devenait de la poudre magique pour décaper et briller le cul des casseroles. C'était vrai, ça marchait et là aussi le bénéfice était 100% net d'impots !! Mon grand-père jubilait quand il expliquait cela et ils riaient tous ensemble en se racontant d'autres épisodes épiques du temps de leurs familles banquistes.
Une autre fois, des habitants de Bavans viennent au moulin voir "ceux du cirque" et Alexis leur parle de ce que faisait Lucienne dans son jeune temps de saltimbanque. N'oublions pas qu'elle ne travaille plus depuis des années, ni la contorsion, ni les chaises de la mort, ni les flics-flacs, ni rien. Alexis lui avait demandé d'arrêter après leurs premiers enfants. Mais là, à Bavans, il lui redemande de faire une série de sauts périlleux, de flic flac... comme çà... devant les autochtones. Lucienne refuse gentiment car elle n'ose pas. Alexis insiste et sa demande devient un ordre, il ne veut pas perdre la face. Lucienne sait qu'elle ne peut plus refuser. Elle s'éxécute, va dans la prairie bordant la cour du moulin et réalise avec fougue une magnifique série de sauts divers. Les Bavanais sont stupéfaits. Tous applaudissent ! Alexis rayonne. C'est la seule fois où les GRUSS-JEANNET ont vu travailler Lucienne comme auparavant. Ce fut un bref épisode et un très beau souvenir.
Une autre fois encore, sitôt après leur retour de Fraize, les enfants jouent à la guerre dans la cour du moulin et imitent la bataille d'avions à grands renforts de bruits et d'explosions diverses. Et d'un seul coup Tonton Dédé se fache en criant "Arrêtez ! Arrêtez de jouer à çà ! Vous faites peur aux petits... et à moi aussi ! ". C'était franc et restait encore dans sa mémoire tant la crainte avait été grande.
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Une vieille famille de forains vit à Bavans depuis des lustres : les CHASSARD. Ils sont amis avec les JEANNET depuis toujours.
Camille, le père de famille, a un fils unique, Robert CHASSARD dit "Nin-Nin". Il a aussi deux autres enfants, adoptés.
Nin-Nin est irrésistiblement attiré par le cirque. Il est jeune, fort, bel homme et vient de plus en plus souvent au moulin. Alexis le prend sous son aile et voit déjà en lui un futur artiste. Il le persuade de se joindre à la troupe dès l'année prochaine et Nin-Nin accepte fou de joie.
A cet instant là, Robert CHASSARD n'imagine pas qu'il restera avec les GRUSS-JEANNET toute sa vie d'artiste et qu'il deviendra dompteur, dresseur, acrobate à cheval... et acteur dans le rôle de Messala lors de la grandiose pantomime BEN-HUR Vivant.
Je me souviens des dernières années de Camille CHASSARD, en forain du temps jadis, dans sa confiserie ambulante toute décorée façon 1900. Il était très gentil. J'étais enfant et, lors des fêtes villageoises, à chaque fois que je passais devant sa confiserie, il ne manquait jamais de m'offrir de la guimauve faite maison, des pastilles d'anis de l'Abbaye de Flavigny et des morceaux de nougat roux qu'il cassait au marteau sur un vieux billot, si utilisé qu'il en était devenu poli par le sucre incrusté dans ses fibres.
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Tout en échafaudant tranquillement la saison 1945, nos amis ne savent pas encore ce qui les attend avant la libération.
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Vendredi 25 août 1944. Dans Paris libéré, le Général De Gaulle triomphe sur
les Champs Elysées.
L'armée ennemie continue de reculer vers sa frontière bordant l'Alsace-Lorraine et, dans sa folie, elle écrase tout sur son passage avec une violence aveugle y compris pour les habitants.
Talonnée
par les forces alliées et la 1ère Armée Française sous les ordres du
Général de Lattre de Tassigny, elle essaie de se réorganiser derrière
les défenses naturelles du massif Vosgien. L'effrayante bataille qui
libérera la Franche-Comté puis l'Alsace et la Lorraine, durera de Septembre 1944 à Février 1945.
En ce même mois d'Août, à Bavans, le Pasteur Martin fait le maximum pour que les enfants échappent à ce cauchemar. Il essaie d'avoir des autorisations pour les faire passer en Suisse. La Kommandantur de Montbéliard n'accepte qu'une chose : seuls les enfants à double nationalité - Franco/Suisse et qui ont encore de la famille en Suisse - pourront passer.
Arlette JEANNET fait partie de ceux-là et, avec ses cousins et une poignée d'autres petits, ils passent en Suisse Romande pour rejoindre leur parenté. La souffrance de la séparation est là mais en même temps la consolation : ils seront dans la famille.
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Septembre 1944.
Pour le Pays de Montbéliard et le Territoire de Belfort la libération approche mais les derniers affrontements vont être terribles.
La vie quotidienne est de plus en plus dure : nourriture insuffisante, médicaments introuvables, malheureux habitants fusillés sans raison, femmes violées, traitres dénonçant ceux et celles qui aident la résistance, bombardements...
Les enfants sont les premiers à souffrir de ces horreurs. La Suisse - pays neutre - est à deux pas. Il faut faire quelque chose.
Un
homme se lève : Henri Viellard, de Morvillars. Il est Sénateur du
Territoire de Belfort et dirigeant de la Société VIELLARD fondée par
ses ancêtres en 1679 (2). Homme de conviction, il prépare un plan
d'évacuation des enfants avec le concours de la Croix Rouge Suisse. Il
met tout en oeuvre pour obtenir l'accord de la Kommandantur et y
parvient : le 20 Septembre, celle-ci accepte de laisser partir les
enfants, répertoriés, numérotés, étiquetés, de
5 à 15 ans les premiers jours puis seulement 12 ans ensuite, car les
nazis décident de garder les plus grands pour leur faire creuser leurs
fossés antichar.
Le
lendemain, Jeudi 21 Septembre, depuis Belfort, des centaines d'enfants grimpent
dans les véhicules mis à disposition par la Mairie (autocars, camions
divers, voitures, même une benne à ordures). Ils partent en direction de
Delle, la ville frontalière, à 30 km de là. Le déchirement de ces
enfants qui pleurent et tendent les bras vers leurs chers parents, en
s'éloignant, est presque insupportable.
A Montbéliard, on assiste aux mêmes scènes déchirantes à cette différence près : il n'y a pas assez de véhicules et des centaines de petits restent bloqués sur la Place. Les responsables communaux sont bouleversés.
Je ne sais pas comment la nouvelle de ce drame arrive aux oreilles des GRUSS-JEANNET mais lorsqu'ils l'entendent, leur coeur ne leur dit qu'une seule chose :
"On met en route les camions ! ".
Et dans l'heure, tous les convois du cirque se dirigent sur Montbéliard pour devenir des véhicules sanitaires au secours des pauvres petits rassemblés.
Les convois furent couverts par de grandes bâches blanches, peintes avec une croix rouge, et les moteurs ne s'arrêtèrent qu'après bien des voyages, lorsqu'il ne resta plus personne sur la Place.
Entre le 21 Septembre et le 25 Octobre, plus de 13000 enfants passèrent la frontière à Delle et furent accueillis en Suisse, grâce à des gens dévoués et ce, malgré le bombardement de la Gare de Delle le vendredi 29 Septembre.
Parmi ces milliers d'enfants, se trouvaient les petits GRUSS, Arlette, Philippe et Rodolphe. Chacun fut mis dans une famille d'adoption helvétique (chez les Baudin pour Arlette, une famille très gentille avec qui elle garda longtemps d'affectueux rapports). Ce ne sera que cinq mois plus tard que nos enfants de la balle se retrouvèrent ensemble, près de leurs parents, juste avant le départ du CIRQUE GRUSS-JEANNET pour la saison 1945.
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Octobre 1944.
Les
GRUSS-JEANNET n'ont jamais fait de "résistance meurtrière" mais ils ont
souvent fait de la "résistance douce". Lucien aide les prisonniers de
guerre, Alexis affiche publiquement ses opinions Gaullistes, André a
toujours été disponible pour le transport des enfants et tout cela ne
plait pas à l'occupant.
Comme beaucoup d'autres habitants en danger à l'approche du raz de marée ennemi, on leur conseille - et ils choisissent - de s'enfuir en Suisse.
Les réseaux de résistance de Marcel Poète et de Soeur Nelly ont déjà fait passer des centaines de personnes au nez et à la barbe des nazis
: familles juives, résistants, prisonniers évadés, aviateurs abattus en
vol... Bientôt ils feront passer aussi des circassiens !
Le point de rendez-vous est donné : la Ferme de l'Enclos, juste au-dessus de Delle. Plusieurs autres personnes sont déjà là. Un passeur les attend pour leur faire traverser champs et forêts pendant la relève de la garde allemande qui dure une demi-heure.
Dans le cas présent, le passeur est une dame. C'est elle qui va les conduire par d'invisibles sentiers, groupe après groupe, de la France à la Suisse.
Le
premier groupe passe avec succès. Eliane JEANNET a insisté pour être
dans le deuxième groupe afin que d'autres passent avant elle.
Fâcheusement, la nouvelle garde a déjà commencé sa ronde et ce groupe est repéré. Tandis que les autres ont le temps de s'éparpiller en courant dans la nature, elle reste debout, sans se cacher. Elle tremble. Les soldats l'entourent mitraillette au point, leurs chiens aboient férocement... "Halt ! Papier bitte ! Schnell ! ". L'un d'entre-eux parle un peu français. Elle lui explique qu'elle est sage-femme, qu'elle a emmené des enfants à la frontière Suisse et qu'elle s'est perdue au retour, là, où elle se trouve maintenant. Comme elle a ses papiers professionnels sur elle avec son laisser-passer de sage-femme, l'explication est crédible pour les soldats. Ils la conduisent alors sur la route, près de la douane, avant de reprendre leur ronde.
Quelques
jours après, Eliane passera en Suisse par le même
chemin clandestin.
La dame - qui fut leur passeur - sera arrêtée plus tard et déportée. Par bonheur, elle reviendra des camps de la mort et vivra encore bien des années auprès des siens. Ma grand-mère la visitait chaque fois que le cirque était à Delle et elle lui offrait toujours des invitations avec une infinie reconnaissance.
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Une fois en Suisse, tout est organisé. La Croix Rouge les accueille chaleureusement puis les aide à traverser la Suisse Romande pour rallier la France déjà libérée.
Nos amis descendent à Dijon (libre depuis le 11 Septembre 1944).
Attablé à la terrasse d'un café, Lucien JEANNET attend les siens. Voisins, des soldats américains prennent aussi du repos en découvrant le célèbre Kir dijonnais (à base de Bourgogne Aligoté et de crème de cassis, créé par le Chanoine Kir).
L'un
des militaires s'exprime en français. Lucien, qui a le dialogue facile,
entame une conversation et découvre que cet "américain" est français ! C'est
un juif "pied-noir" dont la famille a été massacrée à Constantine. Engagé volontaire dans l'armée américaine, il a fait
toute la Campagne d'Italie puis celle de France, depuis Marseille. Il a signé son engagement jusqu'en 1946. Ensuite ?...
Au cas où, Lucien lui laisse ses coordonnées.
Il
se nomme Georges ATTALI et ne se doute pas que, dans peu
d'années, il deviendra lui aussi un acteur de l'épopée GRUSS-JEANNET.
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Dimanche 19 Novembre 1944.
Le Pays de Montbéliard est libéré par le Général de Lattre de Tassigny.
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Hiver 1944-1945.
Les GRUSS-JEANNET sont à Bavans. Ils n'ont plus un sou.
Les JEANNET vivent avec le petit salaire d'Eliane.
Les GRUSS font ce qu'ils peuvent avec ce qu'ils savent. Souvent André part à
bicyclette avec son neveu Philippe - sur le porte-bagages - et Micky, le chien qu'il tient en laisse et qui court derrière. Ils vont faire de petits
numéros, de petites séances de clown et d'acrobatie dans les cafés des villages alentour, Voujeaucourt, Bart, Lougres... André
joue de la trompette, fait rire les gens et Philippe fait des exercices au sol ou sur les
tables puis il fait la manche. Les quelques pièces récoltées servent à faire
vivre toute la famille.
Il fait extrêmement froid (en moyenne -15°C) et il faut chauffer les grandes pièces du moulin mais comment faire quand on n'a pas l'argent pour acheter du bois ?
Alexis dit à Louis Blin (le jeune homme à tout faire venu avec eux depuis Rouen, en 1943) : "Démerde toi pour nous trouver du bois ! ". Et Louis part dans la forêt pour ramasser des branches mortes jusqu'au jour où... Il se rend compte que, taillée dans l'un des flancs du Mont-Bart, il y a une carrière à ciel ouvert. Celle-ci intègre des baraquements d'ouvriers, inhabités en hiver, non gardés, et construits en bois... C'est tentant... Tellement tentant que la nuit des poutres se mettent à disparaître mystérieusement... Jusqu'au jour où quelques amis de Bavans dirent à mon grand-père : "Dis Ny-Kley, on sait, on a vu pour les baraques... mais on ne dira rien".
Les habitants de Bavans avaient bon coeur, les GRUSS eurent bon chaud et jamais personne n'en reparla !
La neige tombe. Le Nouvel An approche. 1945 sera un bon cru pour les GRUSS-JEANNET.
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(1) C'est authentique. En plus de 30 ans, je n'ai entendu qu'une fois ma grand-mère dire le mot de Cambronne. Ce n'était pas feint, elle avait été élevée comme cela et respectait simplement l'éducation de ses parents.
(2) La Société VIELLARD (VMC Pêche) fabrique de père en fils les meilleurs hameçons du monde. Elle est toujours le premier fabricant mondial de leurres et d’hameçons triples pour la pêche.
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Copyright textes et photos - Dépôt BFZT195 - Joël Rehde
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