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Nous sommes au tout début des années 1900.
Une Ménagerie foraine attire les foules de Suisse, d’Alsace et de Franche-Comté, avec sa dompteuse vedette : Olga JEANNET !
La MÉNAGERIE FRANCO-SUISSE, où elle travaille, appartient à son père Auguste JEANNET.
Des dizaines de roulottes et voitures-cages, toutes tirées par des chevaux et remplies d’animaux sauvages, en font l’une des plus belles ménageries de cette époque.
La Ménagerie Franco-Suisse de la famille Jeannet est l'une des plus populaires de cette époque. Elle se produit en Suisse et dans tout l'Est de la France. Grâce aux indications manuscrites sur une carte, nous savons qu'elle présentait son exhibition jusqu'à Lyon. (Photo de la collection Joël Rehde).
Auguste a aussi un frère plus jeune, Fritz JEANNET, qui lui-même est dresseur, spécialisé dans les ours.
En
fait, les frères JEANNET sont les descendants d’une longue lignée de
dresseurs et dompteurs dont la MÉNAGERIE FRANCO-SUISSE est l’apothéose.
Ils
ont encore une bonne dizaine de frères et soeurs, pratiquant le métier
ou non. Leur maman, Camille Von Buren, banquiste Suisse, avait épousé
un JEANNET dans les années 1860.
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Pour l'anecdote, Auguste et Fritz ont une demi-soeur, Rosa, qui a été placée comme soubrette chez les Rothschild.
De longue date, les JEANNET connaissent bien plusieurs membres de cette famille de la branche Suisse car les Rothschild ont toujours été de grands amateurs de chevaux, de cirque, de spectacles. Dans un élan amoureux, l’un des jeunes Rothschild fit un enfant à Rosa. Sans le reconnaître comme un fils héritier, il eut néanmoins l’honnêteté de pourvoir à son éducation et à son travail.
Rosa ne se maria jamais et son petit Camille devint chauffeur attitré chez les Rothschild jusqu’à sa retraite. C’était un chauffeur de maître hors pair dont la réputation était : “ Quand Camo est au volant, on ne sent ni les virages, ni les à-coups, on glisse ! ”.
J’étais petit quand nous allions visiter Tante Rosa en Suisse, à Yverdon. Elle était très âgée. J’ai bien connu aussi le cousin Camo qui venait régulièrement nous voir en France lorsque notre cirque passait près de la frontière Suisse.
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Tandis qu'Auguste JEANNET, le frère aîné, s’épanouit dans la célèbre Ménagerie familiale, Fritz, le “petit” frère, choisit de devenir dresseur-vedette en présentant un numéro d’ours bruns si spectaculaire pour l'époque qu’il est engagé dans toute l’Europe, et ce jusqu’en Espagne, ce qui n’est pas peu dire en cette fin de 19ème siècle.
Pour honorer cet engagement Espagnol (vers 1890, selon les archives et les déductions que nous avons pu faire), Fritz JEANNET partit de Suisse avec ses voitures-cages et son personnel, traversa au rythme des chevaux plus de 1000 km pour arriver à Barcelone, sans doute au cirque "en dur" Alegria (?).
Rappelons qu’à cette époque les cages montées dans la piste, telles que nous les connaissons aujourd’hui, n’existaient pas. Les numéros se déroulaient dans des voitures-cages spécialement aménagées à cet effet et amenées directement sur la piste ou sur une scène.
Et Fritz JEANNET avait des voitures-cages si imposantes qu'elles ne purent pas rentrer à l’intérieur du cirque... Conclusion : le Circo Alegria dut casser et élargir ses portes pour faire arriver l’imposante voiture-cage du numéro sous la coupole du cirque !! Quelle publicité ! Et c’est ainsi que les spectateurs Espagnols purent découvrir le fameux numéro des ours de Fritz JEANNET.
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Entre deux engagements, Fritz travaille bien sûr chez son frère à la MÉNAGERIE FRANCO-SUISSE. Il est grand, musclé, enjôleur.
Un singe lui ayant mordu le nez, il en garde une cicatrice qui ne fait qu’augmenter son côté “bel aventurier” qu’il se plaît à mettre en avant.
Les spectatrices ne demandent qu’à l’aimer jusqu’au jour où... une jeune fille de 18 ans, Rosalie Jaton, assiste au spectacle. Elle est Suisse, de bonne famille, instruite, prête à partir dans une famille de la noblesse Autrichienne en tant que préceptrice des enfants.
Sur les fervents conseils de ses amies, elle tient à voir le numéro de Fritz JEANNET avant de quitter son pays natal.
Subjuguée par le dresseur, elle laisse tout tomber et le suit !!!
Il a 38 ans - vingt ans de plus - mais quelle importance, ils sont amoureux.
Rosalie découvre le métier et Fritz lui monte un numéro : voilà la jeune et jolie Rosalie JEANNET propulsée dompteuse de hyènes ! Il fallait oser. Elle osa.
Elle travaille aussi dans le numéro d'ours bruns et, au final, elle valse enlacée dans les bras du plus grand. Pour ce faire, Fritz lui a spécialement fabriqué une robuste planche qu'elle fixe contre son dos, sous son costume, afin de ne pas être blessée par les griffes de l'ours. Quel contraste sensationnel entre cette frêle jeune fille et cet ours des Carpates si puissant quand il est debout !
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Le spectacle continue et la famille s'agrandit au fil des ans : Léa, Ida, Georges, Lucien, Charles.
Avant la naissance du sixième enfant - Violette - on doit acheter une roulotte supplémentaire avec les chevaux pour la tirer. Fritz refuse. Il prend de l’âge et décide d’arrêter sa vie d’artiste et de voyageur.
Il choisit de se fixer en Franche-Comté parce que c’est un carrefour entre l’Alsace, la Suisse, les Vosges et le Jura.
Vers 1910, il acquiert donc une ferme à Bavans, petit village du Pays de Montbéliard, dans le Doubs. C'est là qu'est née Violette, suivie peu d'années après par Robert, le benjamin de la famille.
Et tandis que son frère aîné continue le rude et beau métier de leurs ancêtres, Fritz devient négociant en draps, rideaux, métaux et chevaux... tout en gardant un pied à la MÉNAGERIE FRANCO-SUISSE .
Il y garde même plus qu’un pied puisqu’il conserve à Bavans un singe, des reptiles et un énorme ours brun - qu’il exhibe dans les foires et villages d’alentour - plus un commis, un noir évadé, ancien esclave, au corps zébré de coups et dont tous les villageois ont peur !
Parfois, il exhibe aussi ce noir qui dévore de la viande crue, dans une cage, à grands renforts de grognements... mais si, après l’exhibition du “cannibale sauvage et sanguinaire” vous aviez pu vous transformer en petite souris dans la maison de Fritz et Rosalie, vous auriez pu voir ce brave noir entrain de faire sauter les petits JEANNET sur ses genoux ou entrain de leur donner le biberon. C’était le commis/baby-sitter de la maison !
Fritz est surnommé “l’homme de l’ours” et tout le monde le prend pour un homme étrange, mystérieux et peu rassurant.
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C’est dans cet univers, le 30 Mai 1902, que nait le petit Lucien JEANNET, sur la Place du Champ de Foire à Montbéliard, dans la roulotte paternelle.
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Copyright textes et photos - Dépôt BFZT195 - Joël Rehde
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