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Parallèlement à l'histoire des JEANNET, un cirque familial de bonne réputation voyage aussi dans les mêmes régions de Lorraine, d'Alsace et de Franche-Comté : le CIRQUE MARTINETTI, fondé en 1865.
Fameux écuyer italien, MARTINETTI a deux filles : Eugénie et Maria (plus exactement Marie Elise).
Elevées dans la grande tradition des saltimbanques, elles sont acrobates et capables de franchir d’un bond aussi bien trois chevaux que cinq hommes en ligne brandissant des baïonnettes au-dessus de leur tête ! Maria est aussi une gracieuse danseuse de corde.
A la mort de leur père, elles continuent et dirigent avec succès - surtout Eugénie qui est l’aînée - le petit établissement familial.
Eugénie épouse Joseph FARINA, un fils de la famille banquiste FARINA. Malheureusement, elle est veuve de bonne heure, à 28 ans. Ils ont eu une fille : Pauline.
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En 1868, comme ils le font depuis toujours, les MARTINETTI demandent l’hospitalité pour passer l’hiver chez l’habitant, dans les granges ou sous les appentis. Cette fois, ils sont en Alsace, à Sainte-Marie-aux-Mines.
On les envoie chez Charles GRUSS, un Alsacien pure souche, fort, rigoureux, tailleur de pierre, car il possède une grande maison avec des écuries et il est seul. Ses parents - Antoinette et Georges GRUSS - sont décédés.
Georges, son père - né le 28 Juillet 1808 à Wilwisheim dans la canton de Saverne - avait épousé Antoinette ANTONI le 30 Janvier 1834. Charles était venu au monde le 28 Décembre 1848. Sa maman décédait sept mois plus tard, le 28 Juillet 1849 à Sainte-Marie-aux-Mines et, le 30 Décembre 1860, il perdait son papa, décédé à Guebwiller. Charles venait d'avoir douze ans quand il se retrouva orphelin.
En 1868, il a vingt ans. Les épreuves de la vie ont durci son caractère mais il comprend la souffrance et la solitude, il les a côtoyées. Alors quand les banquistes MARTINETTI lui demandent la charité et l'hospitalité pour l'hiver, il ne peut pas dire non, il ne peut pas les renvoyer et il accepte de les héberger.
Il les observe. Dans la troupe, une jeune fille est vive, belle, célibataire. Elle l'éblouit. C'est Maria MARTINETTI qui, elle-même, a remarqué cet Alsacien à la virile prestance.
Totalement amoureux, Charles choisit en son for intérieur d'abandonner son métier pour prendre la route des circassiens et, le coeur embrasé, il fait sa demande en mariage. Maria l'aime aussi et ils s'unissent sans attendre, le mardi 3 Novembre 1868.
Ce choix - dont ils n’imaginent pas l’étendue - en fait les fondateurs de la dynastie GRUSS !
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Charles GRUSS ne connait rien de la vie des banquistes mais il est musclé, puissant et attentif. On en fait donc l'hercule de la troupe et on lui apprend de nombreux tours de force tel le traditionnel numéro de chaînes : on entoure son torse plusieurs fois avec une longue et lourde chaîne, cadenassée, que Charles doit ensuite briser après moults efforts. Et il y parvient !
Avec l'aide de sa nouvelle famille, il découvre aussi les ficelles du métier, le montage du chapiteau, les arts de la piste, le pansage des chevaux, la vraie vie des gens du voyage.
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Simultanément à ces années, un autre épisode nous concernant se met en place : Dominique et Jacques-Philippe RICONO, deux frères italiens, quittent leur pays pour venir s'établir en Suisse, à Tavannes, dans le Jura Bernois.
Commerçant dans l'âme, Dominique monte un négoce d'horlogerie et de vins, les deux spécialités de Tavannes et sa région.
Jacques-Philippe, lui, ne rêve que de cirque. Allez savoir pourquoi ?... Mais sa passion est si forte qu'un jour il fuit l’école pour partir avec le CIRQUE GABIANO de passage dans leur ville et ne plus jamais revenir à la vie sédentaire.
Saison après saison, il devient un admirable écuyer et c'est en tant que tel qu'il se retrouve un jour engagé par le CIRQUE MARTINETTI des soeurs Eugénie et Maria.
Grâce aux MARTINETTI, il y complète ses connaissances équestres dans les règles de l’Art. Il est doué.
Et ce qui devait arriver arriva : Jacques-Philippe tomba amoureux de Mademoiselle Pauline et ils se marièrent en 1876 !
Faisant confiance à son gendre, habile dans les affaires, Eugénie lui laisse les rênes du CIRQUE MARTINETTI qui devient alors le CIRQUE RICONO.
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Charles GRUSS est très vexé du choix de sa belle-soeur Eugénie et, sur un coup de tête, il décide de se séparer et de monter son propre cirque.
Ce fut donc la continuité du CIRQUE RICONO (avec Jacques-Philippe et Pauline qui perpétuaient l’héritage d’Eugénie) et la fondation du CIRQUE GRUSS (avec Charles et Maria).
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Six enfants naîtront de l'amour de Pauline et Jacques-Philippe RICONO : Henri Eugène (né en 1879 à Amance en Lorraine et qui épousera Louise GRUSS), Alexandre (qui épousera Adèle Ogier), Alphonse (qui épousera Laurita Elrado, une exceptionnelle acrobate, fille de la célèbre écuyère Olga Vitali), Eugénie (qui épousera le clown Cairoli), Célestine (qui épousera Armand GRUSS) et Hélène (qui épousera Edouard STURLA, créateur d'un extraordinaire numéro de barriste avec ses trois soeurs).
Dramatiquement, Jacques-Philippe RICONO meurt à l’âge de 48 ans, des suites d’une chute au travers d’une trappe d’un grenier à fourrage.
Sa chère Pauline continua seule, et avec un grand courage, l’exploitation du cirque qui devint le GRAND CIRQUE DE LA VEUVE RICONO avec une cavalerie de 30 chevaux, plus de 40 artistes au Programme... et ce jusqu’en 1914.
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Quant à Maria et Charles GRUSS, ils développent avec succès le CIRQUE GRUSS et ont, au fil des saisons, cinq enfants : Marthe, Louise (née en 1877 à Mirecourt dans les Vosges et qui sera demandée en mariage par Henri Eugène RICONO), Célestine (née en 1873 à Delle près de Belfort et qui épousera François Alexis ROBBA le 3 mars 1892 à Rambervillers dans les Vosges), Julien et enfin Henri Charles "Armand" (né en 1881 à Nancy et qui épousera Célestine RICONO. "Armand" - ou Herman en Alsacien - est le prénom qu'il conserva en premier).
Force de la nature comme son père, Armand fait ses débuts comme hercule forain puis, passionné de chevaux, il devient un écuyer émérite, digne de son grand-père MARTINETTI.
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Comme nous pouvons le voir, les familles GRUSS et RICONO s'entrelacent professionnellement mais aussi amoureusement : Armand GRUSS épouse Célestine RICONO, elle-même écuyère ; Louise GRUSS, sa soeur, est demandée en mariage par Henri Eugène RICONO ; et les uns travaillent chez les autres dans les deux cirques familiaux qui, au fur et à mesure des ententes ou des mésententes, s'appelleront CIRQUE RICONO, CIRQUE GRUSS, CIRQUE GRUSS-RICONO, GRAND CIRQUE RICONO, CIRQUE CAROLUS, GRAND CIRQUE FRANCAIS, GRAND CIRQUE GRUSS...
Nos circassiens avancent ainsi sur le chemin des enfants de la balle, des authentiques artistes, en approfondissant leur connaissance des chevaux et la pratique de leur Art.
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En 1914, au début de la première guerre mondiale, Armand GRUSS est envoyé au front à l'âge de 33 ans. La tournée s’arrête.
Sa famille, avec Célestine et les enfants - Hélène, Marthe et Alexis - se réfugie à Valentigney, dans le Doubs, près de Bavans le village des JEANNET.
L’armée réquisitionne les chevaux du cirque et, pour survivre, Célestine doit vendre au fur et à mesure le matériel inemployé.
Né le 30 mars 1909 à Briey, en Meurthe-et-Moselle, le petit Alexis GRUSS a 5 ans.
De longs mois d'angoisse s'écoulent jusqu'à ce qu'Armand revienne des tranchées. Il a la typhoïde mais il est vivant.
Dans le bonheur de l'armistice, en 1918, un nouvel enfant est mis en route : c'est André GRUSS qui arrivera au monde en 1919 à Lunéville, en Lorraine.
Après ces terribles années, ils reprennent la route, tant bien que mal, dans les régions ravagées de l’Est de la France.
En 1920, au plus bas, Armand s’associe avec des cousins installés en Suisse : les ROBBA. Leur cirque s’appelle alors GRUSS-ROBBA. Ce fut une sombre association qui finit par la perte du matériel et des chevaux.
Dégoûtés, Armand et les siens quittent l'Est pour descendre dans le Midi, au soleil, là où il y a de riches touristes donc de l'argent à gagner. Avec leurs faibles moyens, ils descendent jusqu'à Toulon. Ils ne peuvent pas aller plus loin. Armand cherche aussitôt quels sont les endroits où l'on utilise des chevaux afin de gagner sa pitance et pourvoir aux besoins familiaux.
De contact en contact, il frappe à la porte de Monsieur Jules Timon. C'est le propriétaire de la compagnie des fiacres de la ville. Armand GRUSS explique ce qu'il fait et Jules Timon est enthousiaste. Il l'engage aussitôt pour s'occuper de son écurie et faire le cocher.
Le petit Alexis - 12 ans - est à ses côtés. Il mémorise tous les conseils avisés de son père sur la façon de bien conduire un équipage en ville, mener des chevaux par 2 ou par 4, les soigner... L'école de la vie est en route.
L'amitié de celui qui devint le "père Timon" ne quittera jamais les GRUSS. Nous en reparlerons plus loin.
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Nostalgique de sa famille et de sa région, un jour Armand décide de remonter dans l'Est afin de retrouver Henri Eugène RICONO, son beau-frère, qui a lui-même monté son cirque : le GRAND CIRQUE FRANCAIS.
Ils travailleront ensemble de nombreuses années et les enfants, désormais jeunes artistes, embelliront la troupe.
En ces années, "Tante Louise" - c'est-à-dire Louise GRUSS, l'épouse d'Henri Eugène RICONO - se construit une truculente réputation. Elle est directrice, petite (1m50), autoritaire et ne se laisse pas marcher sur les pieds. Par prudence, elle garde toujours les clefs importantes (de la caisse...) sur elle, accrochées à une chaîne-ceinturon qui, pour ceux qui l'apprennent à leur dépend, sert aussi à un autre usage. Quand un commis fait une erreur, se plaint à tort ou réplique mal, la réponse de Louise est immédiate, nette, sans bavure, et met tout le monde d'accord : il se prend un bon coup de chaîne avec clefs !!
Cette anecdote on ne peut plus dynamique me fait penser à la citation de Robert Bresson : "C'est dans sa forme pure qu'un art frappe fort"...
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Plus tard enfin, Armand créera son propre cirque : le GRAND CIRQUE GRUSS. Peu d'années car il décède en 1934, à 53 ans et son cirque disparait en même temps que lui.
Mais ses quatre enfants : Hélène, Marthe, Alexis et André ont déjà le feu des vrais artistes dans le sang et l'histoire ne s'arrête heureusement pas là... !
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Copyright textes et photos - Dépôt BFZT195 - Joël Rehde
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Merci pour cette histoire des familles GRUSS et JEANNET
Extremement bien relatee et j'ai plaisir a voir qu'elle a vecu dans ma region, les Vosges.
Rédigé par : Claudon | 07 avril 2012 à 07:30